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WP Engine face à Automattic : Mullenweg revient dans la course

WP Engine face à Automattic : Mullenweg revient dans la course

WP Engine face à Automattic : Mullenweg revient dans la course

WP Engine face à Automattic : Mullenweg revient dans la course

Sommaire

WP Engine a déposé une Second Amended Complaint contre Automattic et Matt Mullenweg après l’ordonnance de septembre 2025 du tribunal qui avait rejeté plusieurs chefs d’accusation mais offert à WP Engine la possibilité de corriger et de reformuler sa plainte. Bien que Mullenweg ait publié sur son blog le mois dernier que la décision constituait un « significant milestone », cette formulation est exagérée : le tribunal avait en réalité rejeté certains chefs pour des raisons procédurales tout en accordant à WP Engine la faculté d’amender sa plainte, ce qu’elle a désormais fait en repliant ses allégations.

Le litige entre WP Engine et Automattic est loin d’être clos

Dans l’ordonnance rendue le mois dernier, deux chefs ont été écartés pour des raisons techniques plutôt que parce que les faits allégués étaient sans fondement.

Deux chefs écartés

  1. Count 4, Tentative d’extorsion : Les avocats de WP Engine invoquaient une disposition du California Penal Code au titre de la tentative d’extorsion. Or, le Penal Code relève du droit pénal et s’applique à des poursuites publiques ; il ne constitue pas une base recevable pour une action civile particulière.
  2. Count 16, Trademark Misuse : Ce chef a également été rejeté sur un fondement procédural : la notion de trademark misuse est traditionnellement recevable comme une défense en matière de marques, et non comme une cause d’action indépendante.

Les autres chefs qui avaient été rejetés par le tribunal l’ont été avec leave to amend, c’est‑à‑dire que WP Engine a eu l’autorisation de corriger les insuffisances identifiées et de déposer une nouvelle version de sa plainte. La Second Amended Complaint déposée montre que les défendeurs, Automattic et Matt Mullenweg, doivent toujours répondre à des allégations importantes : le procès est donc loin d’être terminé.

Six chefs réintroduits

Pour remédier aux lacunes signalées par le juge, WP Engine a reformulé et redéposé six chefs, dont la plainte au titre du Computer Fraud and Abuse Act (CFAA) (Count 3).

  1. Count 3 : Computer Fraud and Abuse Act (CFAA)
  2. Count 12 : Attempted Monopolization (Sherman Act)
  3. Count 13 : Illegal Tying (Sherman Act)
  4. Count 14 : Illegal Tying (Cartwright Act)
  5. Count 15 : Lanham Act Unfair Competition
  6. Count 16 : Lanham Act False Advertising

Remarque : Dans la nouvelle plainte, le numéro du Count 16 a changé ; l’ancien Count 16 (Trademark Misuse) avait été rejeté sans possibilité d’amendement.

Comment la Second Amended Complaint corrige les insuffisances

La plainte amendée enrichit les allégations initiales par des précisions, des exemples supplémentaires et une documentation plus étoffée afin de répondre point par point aux remarques du juge. L’un des ajouts les plus substantiels consiste en une définition plus nette des marchés pertinents et en des allégations détaillées visant à établir l’existence d’un pouvoir monopolistique.

Sur le plan procédural et stratégique, WP Engine s’est attachée à transformer des assertions générales en éléments factuels plus circonstanciés : témoignages, captures, références à la gouvernance de WordPress.org et à des pratiques de distribution des plugins. L’objectif est de franchir le seuil de plausibilité requis par la jurisprudence fédérale pour survivre à une motion de dismissal.

Définition plus précise des marchés

L’ordonnance de septembre 2025 avait estimé que la plainte initiale manquait de définitions suffisamment détaillées des marchés « pertinents », condition nécessaire pour évaluer une hypothétique position dominante. La plainte amendée consacre environ 27 pages à l’explication et à la segmentation des marchés concernés.

WP Engine identifie désormais quatre marchés distincts :

  1. Marché des systèmes de gestion de contenu (CMS) : il couvre les plates‑formes open‑source et propriétaires permettant la création et la gestion de sites web. WP Engine soutient que le pouvoir de marché est concentré dans l’écosystème WordPress.
  2. Marché des services d’hébergement spécialisés WordPress : il regroupe les hébergeurs positionnés sur des offres optimisées pour WordPress, où Automattic est accusée d’influer sur la concurrence via son contrôle de WordPress.org et sa politique de marques.
  3. Marché de distribution des plugins WordPress : centré sur le dépôt officiel de plugins (WordPress.org repository), présenté comme un canal incontournable pour la visibilité et l’accès aux utilisateurs.
  4. Marché des plugins de champs personnalisés WordPress : segment plus restreint, focalisé sur Advanced Custom Fields (ACF) et des plugins similaires fournissant des fonctionnalités de champs personnalisés, où WP Engine prétend que les actions d’Automattic ont directement restreint la concurrence.

En consacrant près de trente pages à ces définitions, WP Engine cherche à répondre à la critique du tribunal selon laquelle ses premières descriptions étaient trop générales et insuffisamment étayées par des faits économiques et structurels.

Nouvelles allégations visant le pouvoir monopolistique

Le tribunal avait estimé que les premiers actes d’accusation ne démontraient pas de façon plausible que Automattic détenait un pouvoir de monopole ni qu’elle avait mis en œuvre des pratiques d’exclusion anticompetitives. La plainte amendée enrichit les faits allégués afin de combler cette lacune.

Parmi les éléments ajoutés pour étayer l’existence d’une position dominante :

  • Contrôle des dépôts officiels : Automattic est accusée de maîtriser l’accès aux dépôts officiels de plugins et de thèmes, canaux qui conditionnent fortement la visibilité et la diffusion des extensions dans l’écosystème WordPress.
  • Rôle dual de Matt Mullenweg : sa position à la fois de PDG d’Automattic et d’acteur influent dans la gouvernance de WordPress.org est présentée comme susceptible de permettre des décisions coordonnées affectant l’accès au marché.
  • Portée de WordPress : la plainte souligne l’ampleur de WordPress — plus de 40 % des sites mondiaux — pour affirmer que le contrôle exercé sur WordPress.org confère un pouvoir significatif au sein des marchés identifiés.

Ces nouvelles assertions visent à relier le contrôle structurel d’Automattic sur des canaux essentiels à une capacité réelle d’influencer la concurrence et les prix, condition nécessaire pour fonder des réclamations au titre des lois antitrust comme le Sherman Act.

Exemples d’actes d’exclusion étendus

Le tribunal avait estimé que WP Engine exposait trop vaguement le contrôle exercé par Automattic sur WordPress.org et sur les marques WordPress, rendant difficile l’établissement d’un lien plausible entre ces contrôles et un préjudice anticoncurrentiel. La plainte amendée s’attache à décrire des conduites concrètes et des incidents précis.

Plusieurs faits nouveaux sont avancés pour illustrer une conduite prétendument exclusionnaire :

  • Restriction d’accès aux ressources : WP Engine allègue des tentatives de blocage ou de limitation de son accès aux ressources et aux canaux communautaires de WordPress.org, affectant sa capacité à distribuer ou à promouvoir des plugins ou intégrations.
  • Conditions imposées sur les marques : la plainte prétend que des pressions ont été exercées pour encadrer l’usage des marques WordPress, parfois assorties de menaces supposées visant à conditionner l’accès au dépôt officiel.
  • Pressions sur des développeurs : des allégations indiquent que des développeurs de plugins et des partenaires auraient été dissuadés — voire menacés — de collaborer techniquement ou commercialement avec WP Engine.
  • Liens de fait entre participation à l’écosystème et conformité : WP Engine décrit un mécanisme assimilable à un tying de fait, où la participation au dépôt ou à la gouvernance exigerait la conformité aux orientations d’Automattic — un élément central des chefs pour entrave à la concurrence.

En synthèse, la stratégie de WP Engine consiste à substituer à des affirmations générales des incidents identifiés, des échanges documentés, et des descriptions circonstanciées de pratiques supposées avoir un effet d’exclusion ou de distorsion du marché.

Une masse de preuves et la réaction publique

La réaction publique de Mullenweg suite à l’ordonnance de septembre donnait une image optimiste :

« Just got word that the court dismissed several of WP Engine and Silver Lake’s most serious claims — antitrust, monopolization, and extortion have been knocked out! »

Cependant, la Second Amended Complaint montre que ces chefs avaient souvent été éliminés avec possibilité d’amendement et qu’ils ont depuis été réintroduits. Ainsi, il est inexact d’affirmer qu’ils ont été définitivement « éliminés » à ce stade procédural.

La plainte amendée s’étend sur 175 pages, ce qui traduit la volonté de WP Engine de documenter de manière exhaustive ses prétentions pour franchir l’obstacle procédural. Une longueur importante ne préjuge pas du bien‑fondé final des réclamations, mais elle reflète l’effort déployé pour répondre point par point aux observations du tribunal.

Contexte juridique : procédure et enjeux

Pour comprendre les implications de ces mouvements procéduraux, il est utile d’expliquer brièvement quelques notions de procédure civile et de droit de la concurrence :

  • Dismissal with leave to amend : lorsqu’un juge rejette une plainte « with leave to amend », il considère que la formulation actuelle n’est pas suffisante mais offre au demandeur l’opportunité de corriger les vices de forme ou de fond. Le demandeur peut alors déposer une version enrichie ; si elle franchit le seuil de plausibilité, l’affaire peut reprendre son cours.
  • Seuil de plausibilité : depuis l’arrêt Bell Atlantic v. Twombly et Ashcroft v. Iqbal, les tribunaux fédéraux exigent une description des faits suffisamment concrète pour rendre la réclamation plausible, au‑delà d’une simple énumération d’accusations.
  • Lien causal antitrust : pour remporter un chef au titre du Sherman Act, le demandeur doit démontrer non seulement l’existence d’un pouvoir monopolistique mais aussi qu’il y a eu exclusion délibérée ou conduite anticoncurrentielle causant un dommage sur le marché pertinent.

La reformulation opérée par WP Engine vise précisément à satisfaire ces critères en fournissant des éléments factuels, une analyse de marché, et des exemples d’actes identifiables.

Analyse des chefs déposés : portée et défis

Chacun des nouveaux chefs présente des exigences probatoires et des risques procéduraux spécifiques.

Count 3 — CFAA : le Computer Fraud and Abuse Act est souvent invoqué dans des affaires où l’accès non autorisé à des systèmes informatiques est allégué. Pour prospérer, WP Engine devra montrer que des accès ont été obtenus ou utilisés d’une manière interdite par la loi ou par les conditions d’utilisation du système ciblé, et que ces accès ont causé un préjudice.

Counts 12–14 — Sherman Act et Cartwright Act : ces chefs d’accusation impliquent des allégations d’« attempted monopolization » et de tying. Les défis majeurs sont la démonstration du contrôle du marché pertinent et la preuve d’un comportement exclusionnaire délibéré. Le fait d’établir la pertinence des marchés définis par WP Engine (surtout dans des segments spécialisés comme les plugins de champs personnalisés) sera essentiel.

Counts 15–16 — Lanham Act : les réclamations au titre du Lanham Act (concurrence déloyale et publicité mensongère) exigent des preuves que les déclarations ou pratiques d’Automattic ont induit en erreur ou faussé la concurrence. Ici encore, la collecte de communications, de messages officiels, et d’exemples concrets sera déterminante.

Ce que cela signifie pour les parties et pour l’écosystème WordPress

Au‑delà des enjeux juridiques proprement dits, ce dossier a des implications pour l’économie et la gouvernance de l’écosystème WordPress :

  • Visibilité et distribution : si une cour reconnaissait qu’un dépôt officiel constitue un canal essentiel, cela pourrait ouvrir la porte à des obligations de non‑discrimination concernant la visibilité des plugins et des thèmes.
  • Gouvernance des plateformes open‑source : le procès met en lumière la tension entre gouvernance communautaire d’un projet open‑source et les intérêts commerciaux d’entités qui le soutiennent ou l’exploitent.
  • Pratiques commerciales et développeurs : l’affaire pourrait modifier la manière dont les plateformes encadrent la relation avec les développeurs tiers et la façon dont les intégrations sont encouragées ou limitées.

Ces enjeux expliquent pourquoi l’affaire suscite autant d’attention : la décision finale pourrait avoir des répercussions sur la manière dont les écosystèmes numériques dominants équilibrent gouvernance, marques et concurrence.

Positions possibles des défendeurs

Automattic et Matt Mullenweg disposent de plusieurs lignes de défense potentielles :

  • Absence de pouvoir de marché : contester la définition des marchés retenue par WP Engine et produire des données montrant l’existence d’alternatives viables aux services ou canaux prétendument contrôlés.
  • Liberté éditoriale et gouvernance : soutenir que la gestion du dépôt WordPress.org relève d’un choix éditorial et communautaire légitime, protégé par le droit à la gouvernance de la plateforme.
  • Refus de responsabilité pour propos tiers : en cas d’allégations de pressions sur des développeurs, les défendeurs pourraient contester l’authenticité ou l’interprétation des faits présentés.
  • Défenses procédurales  : renouveler des motions visant à faire rejeter une nouvelle fois certains chefs si la plainte amendée reste insuffisamment précise.

La force de ces lignes de défense dépendra largement de la qualité des preuves apportées par WP Engine et de l’interprétation juridique du rôle d’Automattic au sein de l’écosystème WordPress.

Calendrier probable et prochaines étapes

Après le dépôt de la Second Amended Complaint, les étapes procédurales habituelles comprennent :

  • La signification de la plainte aux défendeurs et le dépôt d’une réponse (answer) ou de motions pour la faire rejeter.
  • Des motions préliminaires (motions to dismiss) qui peuvent soulever à nouveau les mêmes arguments de fond et de procédure.
  • Si la plainte survit aux motions, ouverture de la phase de découverte (discovery) : échanges d’e-mails, dépositions, demandes de documents, etc.
  • Éventuelles négociations de règlement ou, en l’absence d’accord, préparation d’un procès.

Ce processus est long : une affaire de cette nature peut prendre des années avant d’aboutir à un jugement définitif, ou jusqu’à une résolution contractuelle entre parties.

Éléments à surveiller

Plusieurs éléments seront à suivre de près pour mesurer l’évolution du dossier :

  • La nature des preuves produites pendant la discovery : communications internes d’Automattic, documents de gouvernance de WordPress.org, preuves de pressions sur des développeurs.
  • La qualification des marchés par des experts économiques : analyses de parts de marché, barrières à l’entrée, substituabilité des produits et services.
  • La réaction des développeurs et de la communauté WordPress : témoignages, changements de politique ou de pratique sur WordPress.org.
  • Les décisions interlocutoires du tribunal sur la recevabilité des chefs et sur la portée de la découverte.

Ces facteurs détermineront la trajectoire du litige et la probabilité que certaines réclamations passent l’étape du procès ou soient tranchées favorablement en appel.

Conclusion — ce que le dépôt amendé change (et ce qu’il ne change pas)

Le dépôt de la Second Amended Complaint par WP Engine n’assure ni victoire juridique immédiate ni défaite pour Automattic. Il marque plutôt la reprise du bras de fer judiciaire avec une version de la plainte plus étoffée et plus structurée. L’issue dépendra désormais de la solidité des preuves, de la capacité de WP Engine à établir un lien causal entre les pratiques alléguées et un préjudice anticoncurrentiel, et de l’aptitude des défendeurs à démontrer l’absence de pouvoir de marché ou la légitimité de leurs choix de gouvernance.

Plus généralement, l’affaire illustre la complexité des litiges portant sur des plateformes numériques larges et hétérogènes : établir un marché pertinent, prouver une position dominante et démontrer une conduite d’exclusion nécessite aujourd’hui une combinaison de données économiques, de faits documentés, et d’une argumentation juridique précise.

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Références